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Allocution du recteur de l'Université Laval,
M. Michel Pigeon, à la remise d'un doctorat honoris causa
à Monsieur Edgar Morin, le lundi, 28 mai 2007, à Paris

Monsieur le récipiendaire d'un doctorat honoris causa,
Distingués invités et chers amis,

Aucune université québécoise n'avait, jusqu'à ce jour, souligné la contribution majeure de Monsieur Edgar Morin à la réflexion intellectuelle contemporaine. En lui décernant aujourd'hui un doctorat honoris causa, l'Université Laval est donc heureuse de reconnaître les mérites de cet intellectuel qui est un des penseurs français les plus importants de notre époque.

En effet, rares sont les personnes qui laissent une marque aussi profonde sur l'histoire non seulement de leur pays mais également de l'humanité. L'œuvre d'Edgar Morin, qui lutte contre les myopies et les aveuglements d'une connaissance qui se croit toute lucidité, est de plus en plus commentée, discutée et enseignée. Aussi, je veux prendre quelques minutes pour exprimer à Monsieur Morin toute ma joie de pouvoir rappeler ici son parcours.

Né à Paris en 1921, Edgar Morin obtient en 1942 une Licence en histoire et géographie et une Licence en droit. Résistant et membre des Forces françaises combattantes, il fait ensuite partie du Gouvernement militaire français en Allemagne. De cette dernière expérience, il tire un premier livre, L'An zéro de l'Allemagne.

Sa carrière au CNRS, où il est aujourd'hui directeur de recherches émérite, commence en 1950. Il a dirigé les revues Arguments et Communications, et a été co-directeur du Centre d'études Transdisciplinaires de l'École des Hautes Études en Sciences sociales. Il est président de l'Agence européenne pour la culture et de l'Association pour la pensée complexe. Il est aussi membre de nombreux organismes voués à la paix et au développement, ainsi qu'à la recherche scientifique.

Commandeur de l'Ordre des Arts et des Lettres et Commandeur de la Légion d'honneur, Edgar Morin est titulaire de plus de 20 doctorats honorifiques et il a reçu de nombreuses distinctions académiques.

L'œuvre multiple, immense et admirable de Monsieur Morin est commandée par le souci d'une connaissance qui ne soit ni mutilée ni cloisonnée, d'une connaissance apte à saisir la complexité du réel, en respectant le singulier tout en l'insérant dans son ensemble.

En préparant cette allocution, j'ai été à nouveau profondément frappé, comme bien d'autres avant moi, par le fait que, quels qu'aient été les sujets ou les objets des réflexions de ce penseur, quelles qu'aient été leur difficulté, leur profondeur ou leur complexité, ces réflexions ont toujours jeté sur les choses, les événements et les gens une lumière pénétrante, une lumière nouvelle.

Edgar Morin est, au sens le plus profond et le plus noble du terme, un grand intellectuel, celui qui jette autour de lui ce regard intelligent, pénétrant et indispensable qui, à son tour, fait progresser la connaissance, fait avancer les esprits.

Ce regard, il est essentiellement multidisciplinaire. Il ne faut donc pas s'étonner que sa réflexion l'ait mené à analyser en profondeur la question de la complexité.

Edgar Morin a, en effet, réalisé que la complexité est actuellement le problème majeur auquel l'humanité fait face. Devant des champs de la connaissance de plus en plus fragmentés, il a cherché une Méthode apte à relever ce défi qui s'impose désormais, non seulement à la connaissance scientifique mais aussi aux problèmes humains, sociaux et politiques. Cette recherche a débouché sur la proposition d'une réforme de la pensée capable de penser l'humain dans toute sa complexité.

Son œuvre colossale, constituée de plus de quarante ouvrages, est le résultat d'une longue réflexion sur la nature, la vie, l'humain, la connaissance, la société, la morale et l'éducation. Véritable encyclopédie du savoir, elle est animée par le souci d'aller au-delà des regards étroits et limités des sciences particulières.

Grâce à une formation en histoire, en sociologie, en économie, en philosophie, en géographie et en droit, Edgar Morin a pu élaborer sa " Méthode " qui nous incite à jeter un regard nouveau sur les notions de causalité, d'ordre, de système, d'organisation, d'autonomie, de sujet, d'objet, ouvrant un vaste horizon du savoir permettant de repenser la connaissance afin de pouvoir repenser l'humanité.

Dans ce contexte d'une analyse poussée de la complexité, c'est avec un intérêt évident que j'ai lu sa communication au Congrès International tenu en Suisse en 1997 et dont le thème était : " Quelle Université pour demain? Vers une évolution transdisciplinaire de l'Université ".

M. Morin y affirme, et je cite : " connaître, c'est, dans une boucle ininterrompue, séparer pour analyser, et relier pour synthétiser ou complexifier. La prévalence disciplinaire, séparatrice, nous fait perdre l'aptitude à relier, l'aptitude à contextualiser, c'est-à-dire à situer une information ou un savoir dans son contexte naturel. Nous perdons l'aptitude à globaliser, c'est-à-dire à introduire les connaissances dans un ensemble plus ou moins organisé. Or les conditions de toute connaissance pertinente sont justement la contextualisation, la globalisation. " Fin de la citation.

Dans une entrevue à la Revue Sciences humaines , la même année, notre récipiendaire allait encore plus loin en affirmant qu' "il n'y a de connaissance pertinente que si on est capable de contextualiser son information, de la globaliser et de la situer dans un ensemble."

Monsieur Morin, vous prônez avec raison, dans un monde devenu complexe à tous égards, rien de moins qu'une réforme de la pensée. Pour vous, la réforme de la pensée, ce que vous appelez la pensée complexe, celle qui surmonte la confusion, l'embarras et la difficulté de penser à l'aide d'opérateurs et à l'aide d'une pensée organisatrice : séparatrice et reliante, pour reprendre vos propres termes.

Vous êtes, je le répète, un modèle, particulièrement pour les universitaires dont l'univers ne peut plus être mono-disciplinaire et dont le défi est d'appréhender la complexité du monde et des savoirs pour les transmettre et les faire progresser plus avant.

Je termine en rappelant que décerner un doctorat honoris causa constitue la plus haute marque de reconnaissance qu'une université peut accorder à des personnes qui se sont éminemment distinguées dans leur domaine d'activité personnelle ou professionnelle.

Mais il est tout aussi vrai que le fait, pour ces mêmes personnes, d'accepter cette reconnaissance constitue un honneur qui rejaillit sur notre communauté universitaire et sur notre établissement tout entier. Merci, cher Monsieur Morin, d'avoir accepté cette distinction de l'Université Lava, que je suis heureux de vous remettre ici aujourd'hui.

Je vous remercie de votre attention.

 
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