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" DE LA TOUR D'IVOIRE À L'AGORA " - Intervention de M. François Tavenas, recteur de l'Université Laval, à l'ouverture des premières Rencontres Champlain-Montaigne, le jeudi 4 octobre 2001, sur le thème: "L'institution universitaire dans le monde d'aujourd'hui et ses partenaires."

Monsieur le député-maire de la Ville de Bordeaux,
Monsieur le Consul général de France à Québec,
Monsieur le Maire de la Ville de Québec,
Chers collègues bordelais et québécois,
Chers amis,

Vous me permettrez tout d'abord, avant d'aborder le sujet qui nous occupe ce matin, "L'institution universitaire dans le monde d'aujourd'hui et ses partenaires", de vous dire à quel point je suis heureux que cette première édition des Rencontres Champlain-Montaigne se déroule ici à Québec et à l'Université Laval.

J'en suis heureux non seulement pour l'honneur que cela nous confère, à l'Université et à la région, mais aussi parce que, pour illustrer la nouvelle réalité de L'institution universitaire dans le monde d'aujourd'hui et ses partenaires, on ne pouvait mieux choisir que notre établissement et notre région.

Plan de l'intervention

J'ai intitulé ma présentation : "De la tour d'ivoire à l'agora". Ce titre, je crois, révèle bien ma vision de l'université du XXIe siècle dans la société moderne. Pour traiter de cette question, je suivrai le plan suivant.

D'abord, en rappelant le rôle de l'université dans l'économie du savoir, je tenterai d'expliquer comment l'institution universitaire doit développer une relation profonde avec tous les partenaires de la société civile. En second lieu, je tenterai d'analyser le type de relations que l'établissement universitaire doit avoir avec ces partenaires. Troisièmement, je dirai un mot des bénéfices que ces relations comportent pour toute la communauté universitaire. En conclusion, j'évoquerai cette vieille image de la tour d'ivoire, image qu'on nous accole encore, mais qui devrait commencer à s'estomper ou à évoluer, afin que les perceptions rattrapent la réalité. Abordons maintenant le sujet qui nous réunit ce matin.

A.- L'université est au cœur de l'économie du savoir

C'est devenu un truisme de dire que l'université moderne est au cœur de l'économie du savoir, qu'elle en constitue le moteur. De fait, la capacité de création et de transfert des connaissances, la capacité de formation de chercheurs, futurs agents de création de connaissances et, surtout, la capacité de formation des diplômés, agents de transfert des connaissances par excellence, toutes ces fonctions universitaires qui sont au cœur de notre mission font de l'université moderne un acteur central de progrès social, culturel et économique, surtout depuis le dernier demi-siècle.

Je ne peux résister, ici, à l'envie de citer le préambule de la remarquable Déclaration de Glion sur " L'université à l'aube du millénaire " qui, écrite il y a trois ans maintenant, comporte une vision étonnamment prophétique et situe on ne peut plus clairement le rôle des universités dans la société. Je cite :

" Face au nouveau millénaire dans lequel nous entrons et dont nos enfants seront les héritiers, nous sommes en butte à un mélange déroutant de promesses et de menaces. D'un côté, la promesse se fait jour de progrès révolutionnaires dans les domaines de la biomédecine, des communications, des technologies de l'information, des sources d'énergie de substitution, des nouveaux matériaux, de l'automatisation ou encore de la mondialisation; de l'autre, c'est avec grande préoccupation que nous observons les menaces liées à la balkanisation, au tribalisme, au terrorisme, au sectarisme, aux inégalités nord-sud, à la faim, à l'équilibre complexe à trouver entre population, ressources et environnement, au défi lancé par le développement durable. Nous nous interrogeons sur les conséquences qu'auront tous ces éléments sur l'avenir des États-nations tels que nous les connaissons. Or, si l'équilibre entre promesses et menaces s'avère incertain, ce qui, en revanche, est absolument certain, c'est que la clé essentielle - quoique non exclusive - du bien-être de chacun dans ce monde nouveau et fascinant, c'est le savoir "(1). Fin de la citation.

Le développement accéléré du savoir n'est pas le fruit du hasard. Il est lié de façon indissociable au développement culturel, économique et social de la société et des attentes des citoyens. Au Canada et au Québec, une part majeure de ce développement a eu lieu et se passe toujours dans les universités et leurs centres de recherche. De fait, dans notre pays, les universités jouent, dans l'entreprise globale de recherche et développement, un rôle plus important que dans la plupart des pays développés. En effet, au-delà des fonctions traditionnelles de recherche fondamentale et de formation de chercheurs, les universités québécoises sont appelées à jouer un rôle important dans les actions de recherche appliquée et de développement pour compenser l'insuffisance de recherche industrielle résultant de la structure de notre économie dans laquelle les PME et les filiales de grandes sociétés étrangères occupent une place prépondérante.

Ainsi, les universités ont dû apprendre très tôt à baliser le plus soigneusement possible le développement des applications concrètes de la recherche. Elles ont toujours considéré que leur fonction première de recherche fondamentale et de formation de chercheurs devait avoir la priorité et être protégée à tout prix; sans elles en effet, leur capacité à intervenir durablement et efficacement dans le domaine de la recherche appliquée et du développement serait remise en question. Elles ont aussi rapidement découvert qu'il serait inacceptable qu'elles se placent dans une situation de concurrence déloyale avec les entreprises, au moment même où elles acceptaient d'inscrire le transfert de connaissances et de technologies comme un prolongement de leur mission de formation et de recherche au service de la société. En créant les connaissances, les universités veulent aussi les transmettre à la société en évitant, dans le choix des activités de transfert, de s'engager dans la réalisation de projets ne comportant pas une démarche scientifique à caractère proprement universitaire. Ces considérations ont amené les universités, d'une part à mettre en place des politiques et structures d'encadrement de la recherche contractuelle, d'autre part à confier à des tiers, dans toute la mesure du possible, la réalisation de travaux d'application et de valorisation de la recherche universitaire.

Au cours des dernières années, la plupart des sociétés développées se sont posé la question de la transformation des résultats de la recherche universitaire en activité économique profitable à la collectivité. Les gouvernements du Canada et du Québec font figure de pionniers dans ces domaines, ayant mis en place des politiques et organismes qui, comme Valorisation Recherche Québec ou les Fonds Innovatech, ont pour mission de contribuer au financement de la valorisation de la recherche. Ici, à l'Université Laval, nous nous sommes dotés à cette fin d'une Société de valorisation des applications de la recherche (appelée SOVAR) précisément pour remplir cette mission, allant jusqu'à la création d'entreprises par des chercheurs universitaires, de façon à distinguer l'activité de recherche et de création scientifique de celle de l'exploitation des applications de cette recherche. La SOVAR fournit une autre illustration de notre affirmation de départ : l'université est au cœur de l'économie du savoir et elle en constitue le moteur.

Les partenaires de la société civile

Pour remplir ce rôle, l'université du XXIe siècle doit développer et entretenir des relations suivies et profondes avec tous ses partenaires de la société civile. Qui sont ces partenaires de la société civile ? Je distingue trois groupes. Tout d'abord, il y a les ordres antérieurs de formation que sont surtout les collèges (appelés aussi " cégeps " au Québec) et les commissions scolaires responsables de l'enseignement secondaire; il y a ensuite les acteurs communautaires, économiques et sociaux dont l'action peut s'enrichir au contact de l'université; il y a enfin les gouvernements et organismes publics qui appuient l'action universitaire et ont des attentes quant aux produits de cette action.

Premiers partenaires, les autres ordres d'enseignement ont fait l'objet d'une très grande attention à l'Université Laval au cours des dernières années. J'ai voulu, dès le début de mon mandat de recteur, établir des relations étroites avec tous les directeurs généraux des cégeps, et nous organisons des rencontres annuelles de concertation pour nous assurer que les formations que nous donnons sont bien arrimées. Notre directeur des programmes de premier cycle, pour qui les relations suivies avec les directions de collèges sont une tâche essentielle, a investi beaucoup de temps et d'énergie dans la mise en place de liens fonctionnels et, entre autres, dans la création de nouveaux programmes dits de DEC-Bac offrant à des jeunes issus de cycles de formation technique un accès facilité à une formation universitaire; je lui rends ici hommage pour une action dont la qualité ne se dément pas. L'Université Laval est ainsi un modèle d'intégration dans son milieu dans le secteur de l'enseignement.

Pour ce qui est du second groupe de partenaires, les acteurs communautaires, économiques et sociaux, notre collaboration prend des formes multiples. Nos facultés ont des vocations d'enseignement et de recherche dans la plupart des champs du savoir. Toutes ont donc la capacité de jouer un rôle de partenaire majeur et ce, pas seulement dans le domaine du transfert technologique et de l'appui au développement économique, même si ces actions constituent une très large part de nos partenariats. La recherche en sciences humaines et sociales est tout aussi essentielle au progrès et à la qualité de la vie de notre société que celle en biotechnologie ou en sciences pures. Qu'il s'agisse du décrochage scolaire des jeunes du secondaire, des effets du jeu légalisé sur le comportement des joueurs compulsifs, du développement de nouveaux aliments fonctionnels et nutraceutiques, ou de commutateurs photoniques, ou encore de recherche sur la régénération tissulaire, nos chercheurs ont un impact profond sur notre société, ils alimentent et éclairent les débats qui la préoccupent et ils contribuent au développement de moyens concrets de progrès culturel, économique ou social. Par ailleurs, en ces temps de mutation profonde et accélérée, tous nos partenaires de la société civile ont des besoins de formation continue pour leur personnel qui doit maîtriser de nouvelles méthodes de travail, assumer de nouvelles responsabilités, faire face à de nouvelles attentes internes et externes.

L'Université Laval, par sa Direction générale de la formation continue et ses facultés, est à l'écoute de ces besoins et elle a mis en place plusieurs programmes génériques ou taillés sur mesure pour y répondre dans plusieurs secteurs comme les réseaux de la santé, le mouvement coopératif, le monde de la finance, l'industrie du plastique et des matériaux composites et, plus récemment, la fonction publique.

Enfin, je rassemble dans le troisième groupe de partenaires les gouvernements. Au premier chef, il y a bien sûr le Gouvernement du Québec et son ministère de l'Éducation, lui qui assure plus des quatre cinquièmes de notre financement de base. Nombre d'autres ministères québécois sont très importants pour l'Université Laval, qu'il s'agisse de ceux de la Recherche, Science et Technologie, de la Santé et Services sociaux, des Relations internationales, du ministère responsable de notre région, sans parler des ministères comme les Ressources naturelles ou l'Agriculture avec qui nous devons maintenir des relations étroites de collaboration pour nos facultés spécialisées dans ces secteurs d'activité. À ce groupe je joins aussi les organismes subventionnaires québécois qui appuient financièrement nos chercheurs et nos centres de recherche. J'inclus dans ce troisième groupe le Gouvernement du Canada et ses grands organismes subventionnaires, de même que des institutions étrangères comme le National Institute of Health du Gouvernement américain, où nos chercheurs, en raison de leur qualité, performent remarquablement.

Voilà donc les trois grands groupes de partenaires de la société civile avec lesquelles l'Université Laval, en ce XXIe siècle doit à Québec et dans le monde créer, développer et maintenir des relations suivies et fécondes.

B.- La nature de ces relations avec la société civile

En quoi consistent précisément ces relations ? Là aussi, je distingue trois types de relations : d'abord, des relations de collaboration structurée et étroite; des relations de nature économique et enfin des relations de service.

Examinons d'abord les relations de collaboration. Je voudrais illustrer mon propos par quelques exemples concrets de collaboration entre l'Université Laval et divers acteurs de la société civile.

Par exemple, dans le monde culturel, les liens entre notre Faculté de musique et l'Orchestre symphonique de Québec sont constants, mais ces liens ne sont pas nouveaux. En effet, l'OSQ, le plus ancien orchestre symphonique au Canada, a été créé à l'occasion des Fêtes qui ont marqué en 1902 le 50e anniversaire de l'octroi de la Charte royale universitaire au Séminaire de Québec, institution mère de l'Université Laval. Aujourd'hui, cette collaboration permet à nos étudiants d'élargir leurs horizons culturels par un accès facilité aux concerts et grâce à la participation des musiciens de l'orchestre et de leur chef, le Maestro Yoav Talmi, à des cours spécialisés donnés à notre université.

Autre exemple, les liens nombreux et permanents entre les musées de la région et l'Université Laval : ainsi, le directeur du Musée du Québec a longtemps été un professeur en congé partiel de notre université; ainsi encore une récente exposition très réussie du Musée de la civilisation, intitulée Syrie, terre de civilisation, a été le fruit du travail et des relations privilégiées d'un autre de nos professeurs avec ce pays. Je souligne aussi nos liens permanents, par l'intermédiaire des professeurs et des étudiants avec ces événements annuels que sont le Festival de musique, les Fêtes de la Nouvelle-France, le Festival d'été, etc. Notre université est une pépinière pour la vie théâtrale intense de la région et de la Ville de Québec. Par ailleurs, notre Université du troisième âge de Québec, communément appelée l'UTAQ, attire des milliers de personnes soucieuses de parfaire leur savoir pendant leur retraite. Enfin, je ne peux passer sous silence l'action de nos quelque 175 000 diplômés à l'œuvre dans notre région et ailleurs au Québec, au Canada et dans le monde, qui portent au loin le témoignage de la qualité de notre formation et qui, souvent, constituent les meilleurs ambassadeurs et ambassadrices de l'Université Laval.

Un mot maintenant des relations de nature économique avec différents acteurs du développement économique de notre milieu. Vous serez sans doute étonnés d'apprendre qu'au chapitre de la recherche contractuelle, c'est-à-dire celle qui est réalisée en vertu de contrats avec des entreprises, l'Université Laval se classe au second rang au Canada, en dépit du fait que la région, ici, ne soit pas une région à forte base industrielle et manufacturière.

A une époque où les besoins en main d'œuvre hautement qualifiée sont la clé du développement des entreprises, notre Service de placement, un modèle du genre au Québec, est un instrument central de collaboration entre l'université et l'industrie. Il a aidé l'an dernier 10,000 diplômés à trouver un emploi à la mesure de leurs talents et c'est plus de 4,000 entreprises qui en ont bénéficié.

L'Université Laval, par son activité de transfert des applications de la recherche, est à l'origine ou collabore activement au développement de nombreuses entreprises de sa région, comme Bomem, Aeterna, Infectio Diagnostic, Exfo, et j'en passe. De fait, au cours des six dernières années, c'est plus de 50 entreprises qui ont été créées à partir de recherches réalisées à l'Université Laval dans des domaines tels que les biotechnologies agroalimentaires ou médicales, l'optique-photonique, les technologies de l'information ou le multimédia. Ces entreprises de la nouvelle économie contribuent fortement à la conversion économique de notre région. Elles embauchent nos diplômés aussi rapidement que nous pouvons les former, et elles sont en vigie constante de la recherche fondamentale réalisée dans nos facultés et centres de recherche pour repérer les applications possibles de ces recherches.

Dans le but d'intensifier notre action dans le domaine du transfert technologique, l'année 2000-2001 aura vu le démarrage des activités de la SOVAR, financée à hauteur de 10 M $ par Valorisation Recherche Québec. Dès ses premiers mois d'existence, la SOVAR a permis la création de trois entreprises de haute technologie issues d'inventions produites dans nos laboratoires, et l'avenir s'annonce des plus prometteurs pour nos chercheurs, notre université et notre région.

C'est aussi à l'Université Laval que notre région doit la création de son Parc technologique du Québec métropolitain, un modèle du genre, un parc dont le premier campus est pratiquement rempli, et qui prépare l'ouverture de deux autres campus à vocation spécifique, un à Saint-Augustin - à l'Ouest de notre région, et l'autre sur la Rive-Sud, dans les limites de la nouvelle ville de Lévis. Par ces relations de nature économique avec son milieu reposant d'abord sur sa capacité de transfert des applications de sa recherche vers les entreprises, nouvelles et existantes, l'Université Laval contribue à la création d'emplois de haut niveau pour ses étudiants et diplômés, favorise les stages en entreprises et, ce faisant, elle apporte une contribution essentielle et unique au progrès économique de la région.

Enfin, c'est sur la base des activités de formation, de recherche et de transfert technologique de l'Université Laval, experte dans ces domaines, que la région de Québec a pu se définir comme pôle québécois dans les domaines de l'optique-photonique, de la géomatique et, plus récemment, des nutraceutiques et qu'elle a pu faire de ces secteurs industriels le cœur de sa stratégie de développement économique avec l'aide de programmes gouvernementaux ciblés.

La relation de service

Comment décrire maintenant le troisième type de relation, la relation de service ? D'abord, il faut rappeler que l'université offre à la société civile, année après année, des milliers de diplômés compétents qui prennent une place active et productive au sein de la main-d'œuvre professionnelle de son milieu et d'ailleurs. Voilà, sans aucun doute, la première et la plus importante relation de service entre l'université et la société.

Un autre volet de cette relation de service consiste en la somme des compétences de très haut niveau que représentent les professeurs. Les enjeux qui confrontent toute société moderne sont complexes. Nos concitoyens, comme nos gouvernants, ont besoin d'éclairages informés, diversifiés et compétents pour saisir et comprendre les éléments de ces enjeux, et se forger une opinion. Ce n'est pas pour rien que les médias d'information s'arrachent littéralement nos professeurs, comme ce fut le cas lors du Sommet des Amériques ou, plus récemment, après les attentats terroristes de New York et de Washington, afin de comprendre ce qui se passe, de situer les évènements dans leur contexte et de les expliquer plus à fond pour le bénéfice du grand nombre. Ces deux aspects de la relation de service avec la société civile rendent déjà très bien compte de ce volet de la mission universitaire qui est le service à la communauté. Mais, à l'Université Laval, nous sommes allés plus loin dans cette voie.

D'abord, nous avons développé des relations fécondes de partenariat avec des acteurs importants de la région. Par exemple, en réalisant que la majorité des ambassadeurs de congrès de la grande région de Québec sont des professeurs de l'Université Laval idéalement placés pour attirer ici maints congrès scientifiques, l'Université Laval a conclu avec le Centre des congrès de Québec une entente formelle de partenariat susceptible de profiter à la fois à l'Université et au Centre des congrès. Nous sommes de fait un joueur majeur dans le domaine de ce que l'on appelle le tourisme d'affaires. En mai dernier, le congrès de la Fédération des sciences humaines et sociales du Canada attirait plus de 7 000 congressistes à l'Université Laval pour ce qui est considéré comme le plus important rassemblement interdisciplinaire au monde.

Toujours au chapitre de ce type de relation, nous avons aussi conclu avec le grand quotidien de la région, Le Soleil, une entente originale de partenariat qui favorise, d'une part, le développement du goût de la lecture d'un quotidien chez nos étudiants et, d'autre part, le rayonnement de l'Université Laval dans notre région et dans tout l'Est du Québec grâce à ce média d'information. Il s'agit d'une entente à peu près unique en son genre en Amérique du Nord, dont nous sommes très fiers.

Autre exemple encore : il y a près de quatre ans, répondant à l'appel de leaders régionaux, j'acceptais de présider un comité dont la mission initiale était de s'assurer que la dérive des fonctions gouvernementales de Québec vers la métropole soit enrayée, au nom même du statut de Capitale de la ville de Québec. Ce Comité Québec Capitale, comme il s'appelle, a joué et joue toujours un rôle très actif d'agent de concertation et d'appui au développement économique de notre région, et il a une influence palpable chez les décideurs gouvernementaux. Je considère, après 40 mois d'activités, que cet investissement du recteur de l'Université Laval dans le développement et le progrès de la région constitue une relation de service exceptionnelle avec la société civile. C'est aussi une relation bénéfique à l'Université dans la mesure où la santé de notre établissement est étroitement liée à la santé de la région que nous desservons.

Enfin, par les diverses activités liées directement à la nature académique de sa mission, l'université rend régulièrement des services utiles à la société. J'ai déjà mentionné l'exceptionnelle capacité d'attraction de congrès scientifiques par nos professeurs. Mais cet exercice même de réflexion scientifique que constitue un congrès ou un colloque universitaire est porteur pour toute la société. Le regretté historien Jean Hamelin, dans sa remarquable "Histoire de l'Université Laval"(2) nous rappelle qu'en 1952, lors des célébrations qui marquaient les 100 ans de notre Charte, " L'Université [a été] l'hôte de 62 congrès et symposiums scientifiques"(3) . C'est cette série de colloques scientifiques qui a permis à nos professeurs et aux autres conférenciers invités de réfléchir au Québec de demain. De là ont émergé bien des idées qui furent à l'origine de ce qu'il est convenu d'appeler chez nous la Révolution tranquille.

Je voudrais attirer votre attention sur un autre exemple situé, lui, dans le futur. Un grand colloque international sur Quatre siècles de francophonie en Amérique aura lieu ici en mai 2003. Il clôturera alors le cycle des Grandes Fêtes de l'Université Laval, c'est-à-dire les célébrations en 2002-2003 de notre Charte royale de 1852 et du rappel de nos origines de 1663, date de fondation du Séminaire de Québec. En même temps qu'il clôturera nos Grandes Fêtes, ce colloque lancera par la même occasion un nouveau cycle, celui des commémorations de Champlain en Amérique qui durera six ans, soit de 2003 à 2009, cycle au sein duquel sera célébré avec éclat le quatre centième anniversaire de la fondation de la Ville de Québec le 3 juillet 2008. C'est là un exemple parmi bien d'autres , mais qui illustre à merveille ce rôle de bougie d'allumage d'événements majeurs et significatifs pour la société.

Dans ses relations de tous ordres avec la société, l'université n'est pas isolée et n'agit pas en vase clos. Au contraire, l'ensemble de ses activités doit demeurer constamment arrimée aux orientations d'autres acteurs importants de la vie collective, au premier plans desquels se trouvent les gouvernements. Ainsi, il était tout naturel pour l'Université Laval de s'associer à l'entente de jumelage qui unit les villes de Bordeaux et de Québec. Ce l'était d'autant plus que, d'une part plusieurs de nos collègues ont des relations scientifiques établies de longue date avec des collègues des universités bordelaises et que, d'autre part, les milieux universitaires jouent des rôles très semblables dans nos deux régions. C'est donc avec enthousiasme que nous nous sommes investis, dans le cadre d'un protocole signé le 1er février 2000, dans la concrétisation d'une collaboration à long terme qui nous verra tenir ces Rencontres Champlain-Montaigne que nous inaugurons aujourd'hui. Le thème de ces premières rencontres illustre parfaitement nos préoccupations conjointes et je suis sûr que nous saurons, au fil des années, faire de ces rencontres un temps fort de réflexion et de collaboration sur les grandes questions culturelles, économiques, sociales, scientifiques ou technologiques qui confrontent nos sociétés. Au-delà de ces rencontres, j'espère bien que nous saurons développer des collaborations suivies pour renforcer nos actions de recherche et faire bénéficier les étudiants bordelais et québécois d'une formation enrichie par des échanges universitaires. A en juger par la longue liste des séjours que des professeurs de Laval ont effectués en terre bordelaise en 2000-2001, je ne doute pas que nous atteignions les objectifs fixés par les deux parrains de cette entente de jumelage, Messieurs les maires Juppé et L'Allier.

Nous pensons aussi que l'action internationale de l'Université Laval doit , dans toute la mesure du possible, être en harmonie avec la politique de développement international du Gouvernement du Québec. Plus concrètement, par exemple, une des priorités de l'action internationale du Gouvernement québécois vise l'Amérique latine. Dans cette perspective, nous avons mis de l'avant une coopération accrue avec les pays de ce continent, coopération qui se manifeste entre autres par des projets de développement de la géomatique au Mexique, un accroissement de nos ententes de collaboration avec diverses universités mexicaines ou encore le développement de projets en Argentine, au Chili ou au Pérou. Sur le continent européen, le Gouvernement du Québec entretient depuis plusieurs années une coopération suivie avec la Bavière. Dans ce contexte, nous travaillons activement à nous rapprocher des universités bavaroises et à nouer là aussi des partenariats actifs tant en enseignement qu'en recherche.

Le Gouvernement du Canada, de son côté, a décidé de tenir le Sommet des Amériques d'avril dernier à Québec. Nous avons profité de cette occasion pour stimuler sur notre campus la réflexion et les débats sur les enjeux de la mondialisation et de la création de la Zone de libre-échange des Amériques. Notre Institut des hautes études internationales a mis sur pied un important colloque international sur toutes ces questions dans les jours précédant immédiatement le Sommet. De plus, il a fondé, dans la foulée du Sommet des Amériques et avec l'appui financier du Gouvernement du Québec, un Centre d'études interaméricaines qui collaborera avec des institutions semblables en Floride, au Chili et bientôt en Argentine. Enfin, pour démontrer à quel point nos relations gouvernementales sont d'ailleurs devenues importantes, l'Université Laval consacre maintenant à ce secteur la ressource d'un cadre supérieur à temps complet, à l'instar des grandes universités canadiennes et américaines.

C.- Pour la communauté étudiante et professorale

D'aucuns pourraient croire que ces diverses relations de partenariat, de nature économique ou de service, se situent à l'extérieur du courant central de la vie universitaire, à l'extérieur de la proverbiale tour d'ivoire. Il n'en est rien. Ces relations avec nos partenaires de la société civile se font au bénéfice le plus direct qui soit de nos étudiants et de nos professeurs.

En effet, comment, par exemple, favoriser l'enseignement de type coopératif, où les stages en entreprise sont essentiels, si l'institution universitaire dans le monde d'aujourd'hui n'entretient pas de relations suivies avec divers partenaires externes ? Dans beaucoup de nos facultés dites professionnelles (droit, génie, comptabilité, médecine, sciences infirmières, agriculture, foresterie, etc.), comment nous assurer que l'enseignement soit à la fine pointe et à la hauteur des attentes si nous sommes repliés sur nous-mêmes ? Pouvons-nous nous permettre d'être en retard sur les milieux professionnels, lorsque nous formons de futurs professionnels ? Poser la question, c'est, bien sûr, y répondre.

Alors que nous internationalisons très rapidement la formation, nous nous devons d'être complices des actions internationales des gouvernements. En recherche, faute de relations suivies avec les entreprises des secteurs d'activité concernés, comment nous assurer que les applications de cette recherche trouveront leur chemin jusque chez le citoyen qui pourra en bénéficier ? Bref, l'ensemble des relations que toute université moderne doit créer, développer et entretenir avec divers groupes de partenaires devient, aujourd'hui, une condition incontournable de la qualité et de la pertinence de son enseignement et de sa recherche, de la qualité des diplômes qu'elle décerne aux étudiants et étudiantes au terme de leur cheminement.

Conclusion : passer enfin de la tour d'ivoire à l'agora

Pour conclure, je rappelle le titre de mon intervention de ce matin : "De la tour d'ivoire à l'agora", cette agora, dont le Larousse nous dit qu'il s'agit d'une " place bordée d'édifices publics, centre de la vie politique, économique et religieuse de la cité ". Nos institutions universitaires ont évolué et, plus que jamais, elles sont interpellées par la société qui les soutient. Je me permettrai de citer à nouveau la Déclaration de Glion, mais cette fois sa conclusion, qu nous dit :

" Durant 900 ans au cours de ce millénaire [qui se termine], l'université […] a rendu de grands services à la société. Son efficacité au cours du millénaire à venir dépendra de la façon dont elle réaffirmera ces valeurs séculaires [dont l'intégrité est l'exigence, l'excellence la norme, la rationalité le moyen, la communauté le contexte, la civilité l'attitude, l'ouverture d'esprit la base, des relations et la responsabilité l'obligation sur lesquels reposent sa propre existence et dont le savoir lui-même est fonction] tandis qu'elle devra répondre de manière novatrice aux nouveaux défis et saisir les nouvelles opportunités qui se présenteront à elle. Il est temps à la fois pour la société et pour l'université de renforcer le contrat social par lequel elles sont liées et sur lequel l'avenir de nos peuples reposera en très grande partie ; il est également temps pour leurs dirigeants d'œuvrer ensemble en vue de réaliser leurs objectifs communs "(4) . Fin de la citation.

Reflet de la complexité grandissante de nos divers milieux sociaux, nos institutions universitaires sont aussi devenues des organisations soumises à des règles d'efficience dans l'utilisation des fonds publics mis à leur disposition, et à une obligation d'imputabilité.

Beaucoup de collègues professeurs expriment régulièrement la crainte que le développement des relations de tous ordres de l'université avec l'extérieur de nos campus ne se fasse, en dernière analyse, au détriment des activités d'enseignement et de recherche, et que ces relations ne deviennent autant d'excuses ou de prétextes pour éviter à la fois la réflexion universitaire et l'indispensable critique sociale qui font aussi partie de la mission de l'Université. Ils craignent que ces liens trop étroits avec tous ces partenaires de l'externe n'en viennent à compromettre la liberté académique, bref, qu'ils contreviennent en dernière analyse à l'éthique universitaire. Ces craintes sont fondées, et elles doivent être présentes de façon constante à notre esprit.

Le 21 septembre dernier, signe des temps, une nouvelle organisation destinée à promouvoir la liberté et l'autonomie universitaires a vu le jour à Bologne, en Italie(5) . Ce groupe, appelé " Observatoire des droits et valeurs fondamentales de l'Université ", est formé de sept éducateurs européens, pour la plupart d'anciens recteurs, et il étudiera des cas qui seront portés à son attention ou soumis par l'un ou l'autre de ses membres. Il ne faut pas s'étonner de la création d'une telle organisation, et il faut même s'en réjouir. En effet, si les relations de l'université avec les partenaires externes, quels qu'ils soient, compromettaient l'institution universitaire dans ce qu'elle a de plus profond, si ces relations avaient pour effet de réduire au silence la fonction critique de l'université moderne, et si elles rendaient difficile, pour ne pas dire insurmontable, toute recherche autre que celle qui est dirigée ou contractuelle, elles commettraient un accroc inacceptable à la liberté universitaire bien comprise et, en ce sens, elles mériteraient examens et correctifs.

Dans l'exercice de cette liberté universitaire qui nous est accordée depuis dix siècles, il faut conserver, d'une certaine manière, cette proverbiale tour d'ivoire où la réflexion proprement académique subsiste, et est vivante et libre, il faut conserver cette institution ouverte à tous les courants de pensée qui circulent dans le monde et qui alimentent la création et la transmission de la connaissance. Du même souffle, cependant, pour que l'institution universitaire moderne poursuive son œuvre, il est tout aussi nécessaire que cette institution, qui est aussi une organisation, soit ouverte et en prise constante avec son milieu et tous ses acteurs majeurs, devienne cette agora, creuset de la démocratie grecque, devienne une nouvelle agora dont nulle démocratie moderne ne saurait se passer. L'ouverture de nos institutions universitaires est et doit demeurer encadrée certes, mais ces relations multiples, je le répète, sont essentielles à l'accomplissement de notre tâche d'enseignement, de recherche et de service à la communauté.

Il y a un demi-siècle, l'auteur anglais H.G. Wells écrivait : " L'histoire humaine est devenue une course entre l'éducation et la catastrophe "(6) . En ces temps troublés, difficiles et souvent angoissants que nous traversons, le rôle de l'institution universitaire dans le monde d'aujourd'hui est probablement plus important que jamais, et nous devons tout faire pour le renforcer. Mais c'est avec tous nos partenaires sociaux que nous pourrons le mieux arriver à remplir notre mission fondamentale conformément aux attentes de la société. C'est là ma plus profonde conviction et je suis convaincu que vous êtes nombreux à la partager.

Je vous remercie de votre attention.

Notes:

(1) L'Université à l'aube du millénaire, Déclaration de Glion, The Glion Colloquium 1998. La Déclaration de Glion est disponible à l'adresse: www.weberfamily.ch/glion/text_fr.htm

(2) Hamelin, Jean, Histoire de l'Université Laval, Les Presses de l'Université Laval, Sainte-Foy, 1995.

(4) Op. Cit.

(5) Burton Bollag, New Organisation Promotes Academic Freedom and University Autonomy in Europe, The Chronicle of Higyer Education, édition électronique, le mercredi 26 septembre 2001.

(6) Henry George Wells, The outline of History, Chapitre 40 de l'édition de 1951. Traduction libre.

 
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