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ALLOCUTION PRONONCÉE PAR MONSIEUR FRANÇOIS TAVENAS, RECTEUR DE L'UNIVERSITÉ LAVAL, À LA REMISE DU PRIX D'EXCELLENCE EN ENSEIGNEMENT DE L'UNIVERSITÉ LAVAL, LE MARDI 7 NOVEMBRE 2000 (suivie du discours de remerciement du récipiendaire, le Dr Éric Philippe)

Monsieur le vice-recteur aux affaires académiques et étudiantes,
Mesdames les Doyennes et Messieurs les Doyens,
Monsieur le Directeur général de la Fondation de l'Université Laval,
Mesdames,
Messieurs,

C'est avec un réel plaisir que je prends la parole au nom de toute la communauté universitaire pour adresser mes plus sincères félicitations au professeur Éric Philippe, lauréat du prix d'excellence en enseignement pour l'année 2000.

L'Université Laval est fière de compter parmi ses membres un professeur dont les compétences pédagogiques exemplaires font l'unanimité auprès de ses collègues et de ses étudiants. La remise de ce prix est l'occasion de reconnaître sa contribution exceptionnelle à la vie universitaire. Elle est aussi l'occasion de réitérer l'importance que l'Université Laval accorde à la qualité de l'enseignement.

Voyons un peu les grandes étapes de l'itinéraire de ce professeur remarquable.

Éric Philippe est né en France, à Versailles. Il a fait ses études à l'Université de Paris où il a obtenu une licence de biologie et une licence de psychologie/psychophysiologie. Il a poursuivi ses études à l'Université Laval où il a terminé une maîtrise et un doctorat en neurobiologie. Il a fait des études postdoctorales à Lausanne, à l'Institut d'histologie et d'embryologie de la Faculté de médecine. Depuis 1988, il est membre du corps professoral de notre Université, en qualité de professeur titulaire d'histologie au premier cycle dans trois facultés : médecine, pharmacie et médecine dentaire. Il enseigne également la neurobiologie aux étudiants de deuxième et de troisième cycle de la Faculté de médecine. Il a récemment été nommé directeur du programme de médecine de premier cycle. Coauteur d'une trentaine d'articles scientifiques, il a organisé, en 1991, à Québec, un congrès international sur les interactions cellulaires dans la moelle épinière. Comme vous le savez tous, il est aussi président de la Commission des affaires étudiantes.

Tout impressionnante qu'elle soit, cette biographie nous dit peu de choses des qualités professionnelles et humaines d'Éric Philippe. Elle est muette, par exemple, sur ses talents de communicateur, de vulgarisateur, talents que les étudiants sont les premiers à reconnaître, eux qui montrent un faible taux d'absentéisme et qui l'applaudissent à la fin du cours (ils font même "la vague", semble-t-il). Leur degré de satisfaction est très élevé, et ils le manifestent de façon constante depuis plusieurs années.

La biographie ne nous dit rien non plus sur la chaleur et la disponibilité qui caractérisent ses rapports avec ses étudiants comme avec ses collègues. Il a d'ailleurs mis sur pied un courriel interactif d'histologie pour offrir aux étudiants la possibilité de communiquer avec lui en tout temps. On voit en lui un guide, un mentor, quelqu'un qui donne le goût d'apprendre, d'aller plus loin.

La biographie passe sous silence également le souci qu'il a d'adapter son enseignement aux nouvelles réalités des trois disciplines qu'il touche. Pour lui, l'interdisciplinarité va de soi. Il consulte ses collègues pour ajuster son enseignement au progrès de leurs domaines de spécialité. Souci aussi d'adapter ses cours aux nouvelles technologies. Il a créé des cédéroms d'auto-enseignement pour le diagnostic de structures histologiques. Ces cédéroms interactifs d'histologie sont désormais utilisés dans plusieurs universités de langue française et en voie d'être traduits en anglais.

La biographie mentionne qu'il préside la Commission des affaires étudiantes, mais elle tait ses dons de rassembleur. Pourtant, qui, à l'Université Laval, ne connaît pas l'Avis de la Commission sur le sentiment d'appartenance? Ce qu'on connaît moins, peut-être, c'est le travail colossal de consultation et de réflexion que cette Commission et, en particulier, son président, ont accompli pour produire cet Avis.

Rien enfin dans la biographie sur la passion qui anime ses activités d'enseignement, une passion qu'il transmet à ses étudiants, comme en font foi les commentaires exprimés dans les formulaires d'évaluation des cours, une passion qui s'accompagne de rigueur et du refus de la facilité.

Excellent communicateur, collègue et professeur disponible, esprit novateur, élément rassembleur, enseignant passionné, voilà résumées trop brièvement les qualités du récipiendaire de cette année.

Ce parcours exemplaire a demandé, on l'imagine bien, de la patience, du dévouement, mais aussi un engagement profond envers la chose pédagogique. C'est donc tout à la fois à l'homme et au professeur que nous rendons hommage aujourd'hui, à celui qui a su parfaitement conjuguer savoir et personnalité, sans compter ni son temps, ni ses efforts.

Cher Éric Philippe, que cette marque de reconnaissance soit en même temps un encouragement à poursuivre votre travail de formateur, à continuer d'inspirer vos collègues, à garder cette passion qui amène les étudiantes et les étudiants sur la voie de l'excellence. Je vous prie de bien vouloir recevoir le prix d'excellence en enseignement et la bourse qui l'accompagne.

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Discours de remerciement du Dr Éric Philippe

L'ENSEIGNEMENT UNIVERSITAIRE,
par Éric Philippe, professeur titulaire

Que dire après tant d'hommages ?

Si vous avez lu les différents articles publiés à la suite du choix qui a été fait de m'attribuer cette année le Prix d'excellence en enseignement, vous avez peut-être retenu qu'à chaque fois que je rentre dans un amphithéâtre devant 150 étudiants, j'ai le trac. Et le jour où je n'aurai plus ce trac ou cette émotion, j'arrêterais de faire de l'enseignement car je viendrais réciter une leçon et je ne serais plus animé de la même passion. En ressentant cette même émotion et ce même trac aujourd'hui après tant d'hommages, je me dis que si la même règle s'applique, je ne suis pas prêt de me lasser ce genre de cérémonie… Mais soyons plus sérieux.

D'où me vient cette foi en l'université ? L'épigénétisme, c'est-à-dire l'influence de l'environnement sur ma plasticité neuronale, y est sûrement pour quelque chose. C'est pourquoi, en commençant, je tiens à souligner la présence de ma mère qui a quitté Versailles, une ville de la vieille province, il y a quelques heures, pour cette occasion… Vers les années 38-40, ma mère a annoncé à ses parents, une famille très bourgeoise de l'époque, qu'elle souhaitait aller à l'Université et plus particulièrement, à la Sorbonne pour y suivre des cours de physique et de chimie… Cette idée ne fit pas l'unanimité dans la famille… En " Lettres ", passe encore ! mais une fille en sciences !… Déterminée, ma mère a quand même suivi des cours avec une grande universitaire : Madame Irène Joliot-Curie… Si je vous dis aujourd'hui que j'ai 75 % d'étudiantes en médecine cette année, vous constaterez qu'en un peu plus d'un demi-siècle, le monde a changé. N'oublions pas qu'il changera encore pour nos étudiants et que nous devrons nous nous adapter quotidiennement à cette réalité tant dans nos relations avec eux que dans notre enseignement. C'est donc très jeune, vous voyez, que j'ai été formé pour ce merveilleux monde qu'est le monde universitaire. Et mon parcours m'a conduit à me passionner pour la recherche et maintenant pour l'enseignement.

Qu'est-ce que l'enseignement pour moi?

Si paradoxal que cela paraisse, l'enseignement universitaire est pour moi une école : une école de volonté et d'ambition, une école de savoir, une école de respect et surtout une école d'humilité. Ces éléments me semblent indissociables. L'enseignement, c'est aussi pour moi le devoir de se renouveler, de se tenir en éveil des attentes des étudiants tout en ayant comme objectif de les conduire à ce haut niveau de savoir qu'ils sont venus chercher à l'université. Quand on enseigne l'histologie, une matière aride que l'on pourrait définir par l'étude du corps humain révélé par le microscope, ce que je fais depuis une quinzaine d'années, ce n'est pas si simple de se renouveler. Les structures de l'œsophage, de l'encéphale ou du foie ont-elles changé depuis un siècle ? Et dire que je dois l'enseigner, selon ma dernière lettre du bureau de la retraite jusqu'en 2019 !

Quelle sera alors ma motivation pour garder la flamme et encore plus pour la transmettre ? Bien sûr continuer à élargir mon savoir mais surtout renouveler ma pédagogie. Pas de routine, pas de complaisance, cela annihile le progrès. Ce qui importe, c'est de le faire avec passion. C'est là que j'ai réalisé qu'être solitaire dans l'enseignement, tout comme dans la recherche, est devenu une attitude révolue. On n'enseigne plus seul mais en équipe. N'est-ce pas là une école d'humilité ? Mon savoir ne peut plus être un savoir solitaire. C'est pour cela que je travaille de plus en plus avec des collègues. Par exemple, avec le Dr Marchand ici présent, qui est pour moi un grand embryologiste, humaniste et scientifique de l'Université Laval, nous sommes en train de créer un cours pour l'ensemble des Sciences de la santé, cours qui impliquera plusieurs professeurs.

Si j'établis de plus en plus de contacts à l'Université Laval avec mes collègues et mes étudiants pour faire évoluer mon enseignement, je prépare cependant mes cours le plus souvent à mon domicile, le soir et les fins de semaines ou encore durant les vacances pour être disponible sur le campus pour mes étudiants et mes autres activités. C'est même parfois une entreprise familiale. Dans l'enseignement que je fais, l'une des qualités requise est par exemple le dessin. Hélas la génétique sur ce plan là ne m'a pas aidé… Un jour, lors d'un cours, j'ai dessiné un embryon au tableau… Même le plus grand des pathologistes aurait eu des problèmes pour interpréter mon œuvre… Deux de mes enfants, Renaud et Guillaume, ont ces compétences en dessin…, je les ai impliqués dans la préparation de mes notes de cours et des cédéroms que j'ai réalisés pour mes étudiants. L'informatique, ce n'est pas ma spécialité… Mon autre fils, Sébastien et ma femme, Anne-Marie spécialiste en infographie et révision linguistique, ont tout pris en main et en quelques mois, mes polycopiés de schémas étaient prêts ainsi que mes cédéroms.

Mon enseignement, c'est aussi une école de respect…

Tout d'abord, le respect de mon titre… Mon titre de professeur titulaire, comme celui de président de la Commission des affaires étudiantes et de je ne sais plus combien de comités. C'est primordial pour moi, c'est la moralité de la fonction. C'est mon devoir. À ce propos, permettez-moi de faire une petite parenthèse. Je dois vous avouer que j'ai été très ému et impressionné par une phrase de l'article de M. Yvon Larose dans le journal " Au fil des événements " qui écrivait, sans savoir que cela me toucherait profondément : " M. Philippe ne fait que son devoir ". Il y a quelques années, lors du décès de mon père, la Une du journal Le Figaro dont il faisait partie de la direction lui rendait un hommage remarquable. Résistant pendant la deuxième Guerre Mondiale, mon père fut déporté au camp de concentration de Buchenwald où, pendant de longs mois, souffrance et tortures étaient son quotidien. Dans l'article du journal que je citais, il était noté cette phrase de mon père qu'il avait un jour laissé échapper : " Je n'ai fait que mon devoir ".

C'est cela qu'avec ma mère, il m'a transmis, ainsi qu'à mes frère et sœurs : le devoir et le respect de son titre. Il aurait été fier d'être des nôtres en cette circonstance. Depuis aujourd'hui, je n'ai qu'un devoir vis-à-vis de l'Université, c'est celui d'être à la hauteur de ce prix et de mes fonctions; un devoir qui, pour moi, ne sera pas douloureux, mais un devoir que je dois transmettre à mes étudiants et à mes enfants.

Le respect de l'étudiant

Mon enseignement, c'est aussi et surtout le respect de l'étudiant. Lui donner un cours à la hauteur de ses attentes, et elles sont grandes, même excessives à l'occasion. Et il a raison. Nous sommes tous membres de l'une des très grandes universités du monde (nous n'en sommes pas assez convaincus), et l'étudiant est en droit d'avoir la formation intellectuelle digne de ce rang. Mais nous devons aussi le respecter dans ses choix de vie et de projets universitaires. Il est fini le temps où l'étudiant voulait faire ses études dans le minimum de temps. Il vivait chez ses parents, n'avait pas besoin de travailler… Ce n'est plus le cas de nos jours; l'étudiant veut découvrir le monde, il est marié ou plus souvent a un ami ou une amie, et même un enfant. Qu'il fasse ses études en 4 ans plutôt qu'en 3 ans fait partie de ses plans de vie. Sans émettre aucun jugement de valeur personnel, j'adapte mon enseignement à cette réalité. C'est aussi en cela que consiste mon respect de l'étudiant… Je n'ai pas le choix, trop de nos étudiants souffrent, quittent nos institutions de haut savoir ou même se suicident.

Le respect se situe également au niveau de l'écoute de l'étudiant, c'est en ce sens que je considère que je les respecte en acceptant de leur faire évaluer mon enseignement. Comment peut-on refuser de se faire évaluer lorsque l'on donne des cours : ils ont tant à nous apprendre ! Bien sûr, nous avons une certaine connaissance, mais la transmission de cette connaissance n'est qu'une partie de notre travail, la plus simple peut être. Il y a aussi la vie et la formation personnelle et sociale… Sans tomber dans un facile paternalisme, ce n'est pas notre rôle, le professeur doit accompagner l'étudiant dans son cheminement, le professeur devient un mentor.

Pour cela je n'ai jamais - et cela va surprendre - je n'ai jamais fait de notes de cours, je ne prépare que des polycopiés de schémas. J'enseigne à des groupes de 150 étudiants et je dois avouer que j'aime cet enseignement magistral en amphithéâtre. Il se crée une dynamique irremplaçable entre eux et moi. Je n'ai donc, moi non plus, aucune note personnelle durant mes cours. Je m'adapte en permanence aux réactions des étudiants. Des notes de cours les bloqueraient, stopperaient leur réflexion et c'est justement là où je veux les mener : apprendre en réfléchissant, en critiquant, en faisant travailler leur " matière grise "…

Je viens de vous exprimer tout ce que l'enseignement pouvait représenter pour moi. Mais permettez-moi maintenant de vous faire part de mes inquiétudes. Monsieur le recteur, je sais apprécier tout le travail qu'avec votre équipe vous effectuez pour qu'un jour notre gouvernement s'occupe de l'avenir des jeunes et les respecte dans leur formation universitaire. Bien sûr, ce n'est que de la matière grise, l'or gris je pourrais dire, non rentable à court terme pour des gouvernements qui ne font que passer et qui ne cherchent que la rentabilité immédiate. Cet or gris, s'il était noir, comme notre pétrole, il serait taxable et rentable. S'il était blanc, comme notre neige, il serait rentable par son tourisme et ce qu'il génère financièrement. Mais notre or gris n'appartient à aucun de ces deux extrêmes et ne semble pas rentable pour notre gouvernement… Mais que fera-t-il pour comprendre que cet or gris, c'est pourtant le plus rentable à moyen et à long termes. Le gouvernement a demandé aux universités des contrats de performance mais n'est-ce pas l'inverse qui devrait se passer ? Ne serait-ce pas plutôt aux universités de demander au gouvernement de réaliser un seul contrat de performance : celui de financer l'avenir de sa jeunesse, financer l'enseignement, en un mot respecter et encourager ceux qui sont appelés à prendre notre place ? C'est en eux que réside l'avenir du pays. Sachons leur en donner tous les moyens avant qu'ils aillent chercher ailleurs ce qu'ils n'auront pu trouver chez eux.

Le temps est venu de conclure.

Alors permettez-moi d'adresser quelques remerciements. Tout d'abord, merci à vous tous qui vous êtes libérés pour venir me rendre un tel hommage et à tous ceux qui auraient aimé être là mais dont les obligations professionnelles, l'éloignement ou autre les ont empêchés de se joindre à nous et qui m'ont adressé des courriers de félicitations.

Si je suis honoré pour mon enseignement, je le dois aussi à mes étudiants que je tiens à remercier tout particulièrement les quelque 5 000 à 5 400 médecins, pharmaciens et dentistes à qui j'ai eu le plaisir d'enseigner ainsi que tous mes collègues de travail du corps professoral et enseignant. Je voudrais souligner que, sans un support des secrétaires, des professionnels et des techniciens, tous compétents, toujours disponibles et aimant les étudiants, je ne serais pas là en ce moment. Bien entendu, j'adresse de très sincères remerciements à la fondation de l'Université Laval qui m'honore pour la seconde fois. Pour la seconde fois effectivement car, outre l'aide de mes parents au début de mes études, c'est la fondation qui ma octroyé en 1981 et 1982 la bourse d'excellence pour les étudiants étrangers, finançant ainsi mes études de doctorat, ce qui m'a permis de réaliser mon projet d'étudiant, que j'ai mené en 2 ans. Soyez sans crainte, avec cette reconnaissance, c'est sans restriction que je vais honorer dans le respect ceux qui m'honorent aujourd'hui : nos étudiants. Mais attention, cela ne veut pas dire complaisance dans leur formation intellectuelle, personnelle et sociale.

Un dernier remerciement à ma femme et à mes enfants qui vivent en permanence dans un environnement histologique. Monsieur le Recteur, vous avez sans doute compris que ma vie se résume en deux grand univers, mon univers familial et mon Université. Je vous remercie de votre attention.

 
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